Étude sur la fatigue auditive et l'impact de l'exposition aux musiques amplifiées
Angélique DUCHEMIN - directrice d'AGI-SON :
En échangeant avec les professionnels, nous nous sommes aperçus que parmi ceux souffrants d’acouphènes, certains avaient pourtant un audiogramme correct lors de leur visite médicale. Dans le cadre la réforme de la médecine du travail et le renforcement de ses actions de prévention, nous avons abordé ce constat avec notre partenaire, le CMB. C’est ainsi que la détection des prémisses d’une baisse auditive nous a semblé essentielle. L’INRS développait alors un nouvel outil : l’Echoscan, et a tout de suite été intéressé pour mener cette étude axée sur la fatigue auditive. L’objectif était d’estimer l’ampleur de la fatigue auditive en fin de poste chez les professionnels exposés à la musique amplifiée.
Thomas VENET en charge de l'étude à l'INRS :
La fatigue auditive est caractérisée par une baisse temporaire des performances auditives. Elle traduit une souffrance du système auditif, mais elle est récupérable contrairement à la perte auditive, qui elle est définitive. C'est donc un bon indicateur en prévention. Pour mesurer la fatigue auditive, il faut calculer la différence entre les mesures au repos et les mesures consécutives à la phase de travail. La mesure au repos, correspondant à l'audition nominale de la personne, est réalisée en début de poste de travail. La seconde mesure est généralement faite dans le quart d'heure qui suit la fin du poste de travail. La fatigue auditive est évaluée par deux type d'examens différents : l'audiométrie tonale et Echoscan. L'audiométrie tonale est l'examen de référence pour diagnostiquer la perte auditive, mais des études antérieures ont montré qu'Echoscan était plus sensible pour mettre en évidence la fatigue auditive.
Dans le cadre de l'étude en cours dans le secteur du spectacle vivant musical, nous nous intéressons à l'ensemble des personnes travaillant dans l'espace de diffusion de la musique : régisseurs et techniciens son, lumière ou plateau mais également les agents de sécurité, barmen, DJs…Cette population de professionnels exposés est comparée à une population « témoin » de personnes non exposées à la musique ni à d'autres sources sonores majeures. Il s'agit souvent de personnels administratifs et d'encadrement des établissements dans lesquels nous allons faire des mesures.
Pour le groupe exposé à la musique, les mesures sont réalisées lors d'une journée de travail "normale" comprenant un concert. Nous ne pourrons être exhaustifs en une seule étude, mais nous essayons néanmoins d'avoir une grande diversité tant pour le style musical que pour le type de salle. Ainsi nous avons suivi des professionnels lors de concerts folk ou électro en passant par le jazz et le rock. Nous sommes intervenus dans différents types de salles, des SMAC de petites et moyennes jauges aux salles telles que le Bataclan et l'Olympia ou en plein air comme lors du Festival Nancy Jazz Pulsations en octobre dernier. Le CFPTS, centre de formation à Bagnolet, nous a également accueilli lors de résidences d’artistes. Bien évidemment, la pandémie a déprogrammé de nombreuses interventions, mais l'étude se poursuivra sur le terrain dès que possible.
Dr. Claude David MARKUS médecin au CMB :
Chez un professionnel du spectacle vivant musical, qu’elle soit ou non associée à des signes cliniques (par exemple à des acouphènes), la constatation d’une anomalie lors de la réalisation de l’audiogramme révèle l’amorce d’un processus d’altération irréversible de l’appareil auditif. Plus que dans une attitude de prévention proprement dite, l’action du médecin s’inscrit dès lors surtout dans la limitation de ce processus délétère (port de protections auditives, changement dans la pratique professionnelle, orientation vers une consultation spécialisée, etc.). C’est donc en amont que le diagnostic du médecin doit se situer. L’idéal serait d’éviter d’en arriver à la phase d’anomalies constatées sur l’audiogramme. Cependant, là encore, l’absence d’anomalies détectables sur l’audiogramme ne constitue pas la garantie qu’une atteinte de l’appareil auditif n’a pas débuté. En détectant une « fatigabilité auditive » avant toute anomalie visible sur l’audiogramme, l’Echoscan pourrait être un outil essentiel dans la prévention auditive des professionnels de la musique, permettant au médecin de prendre des mesures de prévention d’autant plus efficaces qu’elles se situent en amont.