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Interview de Manou COMBY sur le décret "Son"

Interview de Manou COMBY sur le décret "Son"

13 avril 2021

[ INTERVIEW ]

Directeur de la Rodia et du festival Détonation à Besançon, Manou COMBY siège au bureau d'AGI-SON en tant que vice-président et représentant de la Fédélima depuis 2020. Il répond à nos questions sur le décret "Son".

 


"Si on considère qu'on ne peut pas dépasser ce niveau de 3 décibels d'émergence, c'est la mort de tous les festivals. Je veux croire qu'on ne s'est pas rendu compte de ce qu'on faisait en écrivant ce décret."

 

La Rodia – deux salles de diffusion > le club, 340 places et une salle de 1100 places
Le festival Détonation se déroule en plein air en septembre > jauge de 5000 personnes et 4 scènes 


En tant que directeur d'un lieu de concert et d'un festival, comment avez-vous accueilli cette nouvelle réglementation sonore ?


Manou Comby : Ce texte est l’émanation d’une préoccupation fondamentale sur les risques auditifs dans notre secteur des musiques amplifiées. Depuis des années, nous sommes engagés dans la prévention des risques sonores notamment à travers les Peace&Lobe® et le travail de fond d’AGI-SON. Notre filière est particulièrement vigilante à la qualité d’accueil et de prévention, comme en témoigne notre travail en cette période de COVID.


Les organisations professionnelles d’AGI-SON déplorent que certaines prescriptions ne prennent pas en compte les spécificités du spectacle vivant, pouvez-vous en donner un aperçu ? 


Par exemple, ce qui au départ était une bonne chose d’inclure les basse fréquences (dB(C)) pour éviter les risques de surexposition, est devenue une usine à gaz !
Ces fréquences basses, très présentes dans les musiques actuelles, sont très compliquées à mesurer, elle sont mouvantes et dépendent de tas de paramètres : la disposition du matériel, la configuration de la salle ou encore la météo pour les concerts de plein air. 


Une des grandes nouveautés du décret « Son » est la réalisation d’une Etude d'Impact des Nuisances Sonores pour les festivals de plein air, quels problèmes cela soulève?


C’est tout simplement irréalisable pour un site en plein air. Que ce soit pour le festival Détonation, les EurockéennesJazz sous les pommiers ou les Vieilles Charrues. Il y a trop de paramètres. Il s’agit de mesurer l’impact de la projection sonore sur un site naturel en intégrant les phénomènes météos - trouvez moi l’ordinateur capable de le faire – , le relief des lieux, le nombre de personnes qui seront devant la scène etcetera… Cela nécessite aussi de prendre des mesures où les gens habitent, de prendre en compte le bruit de la circulation des véhicules, de calculer précisément le bruit émergent du quartier.

On en a fait l’expérience pendant le festival Détonation et c’était assez instructif. La perception que nous donnait les mesures d’un côté et le retour qu’on avait des habitants du quartier ne corroboraient pas du tout. C’est très subjectif le rendu sonore. Il y a des moments où on mesurait des pointes dans les fréquences médium aigues et personne n’était gêné. D’un autre côté les fréquences basses n’étaient pas relevées par les appareils de mesure alors que les chiens qui aboyaient et le bruit des voitures montaient le niveau en décibel à la même hauteur que nos scènes ! Tout cela pour vous dire qu’une EINS c’est compliqué. On va s’égarer dans des considérations "technico scientifique".


Le niveau d’émergence à respecter est un autre point du décret qui inquiète les festivals :


Les festivals peuvent se maintenir depuis des années parce qu’il y a du bon voisinage, un travail de médiation. Si on considére à présent qu’on ne peut pas dépasser ce niveau de 3 décibels d’émergence c’est la mort de tous les festivals. Il n'y en pas un qui soit dans les clous. Avec cette réglementation, il faudra aller faire les festivals dans des zones non habitées et extrêmement éloignées de tout voisinage. Je veux croire qu’on ne s’est pas rendu compte de ce qu’on faisait en écrivant ce décret, que la réflexion sociétale n'est pas allée assez loin. À moins qu’on entre dans un monde où plus rien ne sera possible…


Dernièrement, un circuit automobile a été condamné pour nuisances sonores à Albi (voir article de Libération), en quoi est-ce une alerte supplémentaire pour les organisateurs de concerts ?


C’est très grave, ce circuit a presque 60 ans ! Des riverains se sont petit à petit installés à proximité et se sont appuyés sur l’amplification des speakers pour attaquer le circuit en s'appuyant sur le décret "Son" (un appel est en cours). Oui, c’est très inquiétant. Demain, un festival à proximité d’une zone d’habitation, bien installé depuis des années, peut être attaqué. 


Finalement, au-delà des considérations techniques, le sujet  du décret « Son » soulève une question plus large, celle de la vitalité de nos territoires :


Oui c’est une question sociétale. Etes vous prêts à supporter 3 jours de festivités dans votre quartier ?
Quand on a eu des récriminations de riverains nouvellement installés on a fait une réunion de médiation avec le comité de quartier. Le débat était intéressant car finalement ce sont les membres du comité qui ont eux-mêmes demandé aux nouveaux venus de laisser faire le festival Détonation. Un autre exemple, le maire de Londres a fait classer les clubs de rock des années 70 comme patrimoine pour qu’ils ne soient plus attaquables sur leur activité de concert.

Il faut aller sur des débats de bonne intelligence. Quid demain des braderies en centre ville, des manifestations sportives, de tous ces évènements qui utilisent des hauts parleurs ? C’est tout cela qui est en danger ! 


Alors que le secteur prépare sa reprise d’activité, quelles sont vos attentes ?


La crise met une énième fois sur le devant la table l’importance du spectacle vivant comme vecteur de lien social. La reprise, qui n’est déjà pas simple, se retrouve avec une entrave supplémentaire que représente le décret « Son ». On ne sait déjà pas comment les gens vont revenir sur les évènements, quelle en sera la configuration, assis, debout ? Alors il est urgent de régler cette question.
J’ai hâte d’entendre les élus s’exprimer sur le sujet lors des étapes du tour de France d’AGI-SON #2.

 

Lancement du tour de France AGI-SON #2

A l'été 2021 débutera le tour de France#2 d'AGI-SON organisé en partenariat avec les relais régionaux et le Centre National de la MusiqueChaque étape sera l'occasion d'échanger avec les professionnels de la culture, les élus et les organisations professionnelles des collectivités autour des problématiques et des enjeux du décret n° 2017-1244 du 07 août 2017 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés.

Lancement en région Centre Val de Loire le 23 juin au Printemps de Bourges en partenariat avec la FRACA-MA. Ouverture des inscriptions et annonce du calendrier complet, à venir !