Rappel du contexte réglementaire
Une des nouveautés du décret “Son” est la prise en compte des basses fréquences qui est, à la fois un progrès notable dans la protection de la santé des publics, mais pose d’autre part un souci à certaines esthétiques qui en font un outil artistique (reggae, dub, hip hop, musiques électroniques) et pour le respect des niveaux d’émergences (différence entre le bruit ambiant - avec l’activité musicale - et le bruit résiduel - sans l’activité -) pour les festivals de plein air qui n’est tout simplement pas tenable. Les basses fréquences sont ce qui gêne le plus les riverains mais la réglementation en vigueur, bien que limitant le niveau, ne résout pas ce problème puisqu'elle ne prend pas en compte les fréquences sous les 125 Hz. Or ce sont bien ces fréquences qui causent le plus de troubles.
L’appréciation du public est très partagée sur les volumes sonores
Sur le plan sanitaire, on sait que les basses fréquences ont un impact sur les organismes. Elles ont des conséquences sur l’audition mais aussi sur l’activité neuronale et cardiovasculaire. On sait par ailleurs qu’elles participent à faire vibrer le public de concert et que ce sont des sensations recherchées. AGI-SON a donc souhaité sonder l’avis du public sur ces basses fréquences dans son nouveau baromètre corrélée à l’évaluation du volume sonore.
Il en ressort que le public est très partagé sur la question.
Les basses fréquences : un sujet artistique
Il est important de s’interroger sur les raisons de cette prédominance des basses fréquences dans les créations actuelles. On a pu observer un véritable essor de leur utilisation ces dernières années. Ce choix artistique est intéressant à questionner avec tous les professionnels de la chaîne de création et en particulier les artistes qui sont au début. Un aspect interrogé avec l’expérience d’Emilie Yakich dans l'accompagnement des artistes du Chantier des Francos.
Un manque d’expérience scénique chez les jeunes artistes
Emilie Yakich constate qu’au Chantier des Francos, les artistes qui arrivent dans le dispositif ont désormais une très faible expérience du live. Le passage par les petites scènes des cafés-concerts est plus anecdotique. Ils viennent faire leur premier pas au Chantier des Francos avec la volonté de développer leur carrière par le live.
Un des enjeux actuels est de faire prendre conscience aux artistes de la différence entre travailler le son pour un enregistrement et travailler le son pour un concert.
Il y a actuellement beaucoup d’artistes qui travaillent en home studio et qui se retrouvent du jour au lendemain sur scène. Aujourd’hui la musique est d’abord publiée sur internet avant d’être présentée en live. Depuis quelques années, il y a beaucoup d’artistes qui arrivent avec les mêmes sons produits pour la musique enregistrée à diffuser pour le live.
Des changements dans l’expérience spectateur
Emilie Yakich a remarqué que dans les concerts de “musique urbaine”, le spectacle est autant dans la salle que sur scène. Le public (souvent jeune) connaît par cœur et chante à tue-tête. Le son live attendu sur scène par le public doit être similaire à celui qui arrive dans les oreilles en version enregistrée. C’est un vrai moment de communion entre l’artiste et le public où les infrabasses portent et où le flow est partagé entre le chanteur et le public.
La nécessaire présence des ingénieurs du son dans l’accompagnement des artistes
Pendant longtemps le Chantier des Francos n’a pas voulu s’occuper de question du son car le dispositif se concentrait sur l’interprétation. Avec l’évolution des esthétiques, il y a une obligation de travailler la question du son. Il y a maintenant des techniciens qui produisent le son, font le son en studio et font le son du live.
Dans les musiques urbaines il y a parfois des artistes lead totalement détachés de ces questions et qui laissent la responsabilité à leur producteur et à leur ingénieur du son. Pour certains le travail de studio a été long. Ils ont enfin abouti à un résultat et ne veulent pas tout recommencer pour le live.
Quelle qualité sonore public ?
Le souci du respect à la fois de l’œuvre et du spectateur dans la rencontre entre l’artiste et le public doit être questionné. Ce sujet a été abordé par le CNM avec son Etude sur L’expérience des spectacles musicaux.
Mary Vercauteren précise que cette étude sera reconduite en 2023.
Parmi les constats de 2022 il est ressorti que les spectateurs ont conscience des risques de la musique live. Néanmoins, en dépit de cette conscience, ils ne se protègent pas plus que ça, notamment chez les plus jeunes. Il y a une plus grande conscientisation pour les publics de 30-40 ans.
Concernant la qualité sonore, à la question sur les lieux avec une bonne acoustique, les personnes interrogées n’ont cité pratiquement que des lieux proposant de la musique classique et contemporaine.
En 2023, le CNM va investiguer le rapport à la musique des français sur l’ensemble de leur consommation et de leur usage. Le public sera interrogé pour savoir si la qualité sonore de la salle est un déterminant.
Quel accompagnement des professionnels ?
Le CNM a notamment identifié avec AGI-SON le besoin de montée en compétences des professionnels aux regard des exigences fortes du décret et a mis en place la formation Gérer les risques sonores dans les ERP avec AGI-SON.
Une nouvelle rédaction du Guide pour une bonne gestion sonore, qui intégrera évidemment la nouvelle réglementation est également en cours. Le guide devrait paraître pour le MaMA festival aux éditions du CNM.
Il y a également une réflexion pour informer et sensibiliser davantage les professionnels sur la réglementation en intégrant des questions sur ce que les organisateurs mettent en place, en termes de gestion sonore et de formation de leurs équipes techniques, dans les formulaires de demandes d’aides.
Pour conclure cette table-ronde, Angélique DUCHEMIN, directrice d’AGI-SON rappelle que la réglementation sonore représente de nombreux défis pour le secteur du spectacle vivant musical dans son application mais elle permet de remettre le sujet du sonore au centre des préoccupations de nos métiers. La prédominance des basses fréquences est une des nombreuses facettes de ce sujet que les professionnels doivent questionner objectivement étant donné leurs impacts sanitaires et environnementaux. AGI-SON poursuivra la programmation d’échanges et de débats pour alimenter la réflexion sur ce thème et la gestion sonore au sens large.