Vous l'avez certainement déjà croisé en festival ou en concert avec son sonomètre, Jacky LEVECQ, passionné de musiques live et ancien Ingénieur d’études sanitaires, est une figure incontournable d'AGI-SON. Fraîchement retraité, il s'investit pleinement dans la conduite des études menées par AGI-SON pour améliorer la gestion sonore. Une expertise précieuse à l'aube d'une nouvelle réglementation qui pose bien des questions...
Jacky, peux tu nous expliquer ton parcours et ce qui t'a conduit jusqu'à AGI-SON ?
J'ai été Ingénieur d’études sanitaires à l’Agence Régionale de Santé Rhône Alpes pendant une vingtaine d’années. Passionné par les musiques vivantes et par le fonctionnement de l’oreille j’ai réalisé le CD ROM « L’oreille interactive » qui a été primé au Décibel d’OR en 1997. A partir de 2002 j’ai conduit plusieurs études sur la gestion sonore et la prévention des risques auditifs lors du festival « Musilac » en SAVOIE.
J’ai découvert le travail d’AGI-SON en 2006, lors d’un colloque « musiques amplifiées et gestion du risque auditif » organisé par la DDASS de la Gironde, le CIDB, AGI-SON, le PRODISS et la Fédurok... A cette époque se posait déjà la question de l’impact des basses fréquences sur l’audition et sur l’environnement…
L’ensemble des actions que j’ai menées dans le domaine de la prévention des risques auditifs m’ont conduit à intervenir dés 2012 comme référent pour les musiques amplifiées auprès de la Direction Générale de la Santé du ministère de la santé, au sein du comité scientifique d’AGISON.
Retraité depuis 2015, j’ai rejoint l’association AGI-SON où j’interviens bénévolement comme conseiller technique. Je coordonne les études sur la gestion sonore et j’ai le plaisir de présider son comité scientifique.
Qu’est-ce qui t’as donné envie de t'investir dans les actions d’AGI-SON au point d’occuper aujourd'hui la fonction de Président du Comité Scientifique ?
En temps qu’agent de contrôle, dans les situations de conflits d’intérêts, j’ai été frappé par le manque de formations et d’informations des acteurs. Dans ma pratique professionnelle, j’ai toujours privilégié la médiation à la sanction. Parallèlement en temps que musicien et comme acteur de prévention je constatais trop fréquemment chez les professionnels du son des atteintes auditives sévères et surtout un déficit de connaissance sur ce qui m’apparaissait comme essentiel dans la formation d’un musicien, ou d’un ingénieur du son à savoir comment fonctionne l’oreille ?… Comment préserver cet outil de travail ?
Dans le contexte de « réduction de voilure » de la fonction publique, je pense que les actions de contrôle sur les lieux diffusant de la musique vivante amplifiée auront un effet limité, et que les sanctions ne sont pas le meilleur moyen de faire « bouger les lignes ». Je pense qu’il faut privilégier l’information, la formation et la prévention auprès des professionnels. Je les côtois régulièrement et témoigne de leur prise de conscience et de leur adhésion à ces objectifs.
Voilà pourquoi je me suis engagé bénévolement auprès d’AGISON, qui en fédérant l’ensemble des professionnels des musiques vivantes engage des actions durables dans lesquelles je me retrouve.
Je crois que l’esprit et l’ambiance des réunions du Comité Scientifique auxquelles sont associés les ministères en charge de la santé, de l’environnement et de la culture ont été déterminants dans mon engagement. Loin des postures institutionnelles, le partage des compétences et la liberté de parole entre les participants font de ce comité un lieu de partage constructif.
Une phrase de Sacha Boudjema que j’affectionne résume assez bien l’esprit de ce comité « La connaissance est la seule chose qui s'accroit lorsqu'on la partage »
En 2014, AGI-SON a lancé une campagne de mesures sonores dans les festivals et les salles de concerts. Quelle est la genèse de la campagne Opér@'Son ?
Pour les festivals, le facteur déclenchant à été la série d’études réalisées à partir de 2010 sur les éditions successives du festival « Musilac » dans le cadre du pole de compétence départemental sur le bruit que j’animais avec Catherine CUISINIER. Nous avions choisi les festivals car en l’absence de réglementation, il y avait très peu de données sur ce type d’évènement caractérisé par une concentration importante de public sur une durée d’exposition longue. Nous ne présumions en rien des résultats. Nous avions pour objectif de cumuler un maximum de données sur la durée complète des concerts et d’analyser les résultats à la lumière des informations recueillis dans les publications scientifiques, médicales et techniques.
Au fil des éditions nous avons noué des contacts fructueux avec les professionnels et commencé à identifier les difficultés inhérentes aux pratiques de musiques vivantes. La qualité des travaux à été reconnue par les ministères. L’évolution du décret de 1988 était déjà en projet et AGI-SON, pressentant des difficultés d’application pour le secteur, voulait évaluer objectivement l’impact sur ce type de lieux. Le plein air entrant pour la première fois dans le champ d’application du projet d’évolution règlementaire, un premier volet d’une campagne de mesure était envisagé avec le concours des ARS.
Et là, une belle opportunité s’offre à AGISON. L’association fait l’objet d’un mécénat de la société ACOEM, un fabricant renommé de matériel de mesure acoustique. Nous avons la chance de recevoir plusieurs balises de surveillance acoustique de précision dénommée Opér@. Le nom de la campagne était donné : « Opér@Son » était née. Ce parc de sonomètres nous à permis de réaliser des mesures dans plus de 170 concerts dont certains conjointement avec des services de contrôle de l’Etat.
Les résultats de ces mesures en festivals de plein air ont permis de constater qu’en l’absence de règlementation sur 133 concerts analysés 30 seulement dépassaient les valeurs maximales d’exposition projetées par la nouvelle règlementation. Ces résultats ont un peu surpris les professionnels qui s’attendaient à plus de dépassements et à des dépassements plus importants…
Compte tenu de l’imminence de la sortie du nouveau décret, le second volet concernant les lieux clos a été rapidement lancé. Les réseaux de lieux représentés au sein d’AGI-SON, ont permis d’identifier et de cibler en priorité les lieux de faible jauge dont les conditions d’exploitation (faibles surfaces, absence de personnel spécialisé, sous équipement en matériel de gestion sonore, forte influence du son de scène sur le son de façade, fragilité financière, problématique environnementale contraignante…) présageaient des difficultés de mise en conformité.
Que révèle cette campagne ?
En premier lieu, une forte implication des lieux, et des professionnels qui se sont mobilisés pour qu’elle soit très représentative de l’ensemble des pratiques y compris les plus extrêmes…
Elle objective certaines pratiques très peu investiguées dans le cadre d’études précédentes.
Elle révèle essentiellement la grande complexité d’application du décret pour les musiques vivantes tout types de lieux confondus. D'autant plus que la la version publiée n'est pas celle dont nous avions connaissance au moment des mesures et qui semblait pourtant faire consensus au sein des dernières réunions de concertation auxquelles AGI-SON a participé.
Le nouveau décret venant d'être publié, que penses-tu de cet abaissement des niveaux sonores ?
Les résultats de notre campagne ont montré que l’abaissement des niveaux sonores visé par le décret pouvait être envisagé dans certaines configurations, et que des sonorisateurs y voyaient une opportunité d’améliorer la qualité du son. Mais son champ d’application est très élargi, qui vise à la fois des lieux diffusant des musiques enregistrées techniquement aisément « maîtrisables » et une grande diversité de lieux diffusant des musiques vivantes dont les conditions de diffusion sont techniquement beaucoup plus complexes. Pour faire court, il est plus simple de limiter les niveaux sonores d’un support stéréo de musique enregistré à l’intérieur d’une discothèque que de les limiter en tous points accessibles au public dans un concert en live…
Quels aspects du nouveau décret te posent question?
Beaucoup ! Mais je ne développerais que ceux mis en lumière par notre campagne de mesure qui s’avèrent de fait très techniques…
Au regard des conclusions de la dernière réunion du comité scientifique que nous avons tenue suite à la parution du nouveau décret, la vraie difficulté est l’apparition d’une limitation nouvelle en dBC visant les basses fréquences. Si cette limitation à un sens au regard de la prépondérance récente des basses fréquences dans les musiques actuelles, sa valeur limite fixée à 118 dB en tout point accessible au public est simplement impossible à respecter techniquement.
Pourquoi ce niveau en dBC te paraît-il compliqué à appliquer et quelles difficultés ont été concrètement identifiées ?
Il y a d’abord un problème d’équipement... Soit les Subs dédiés aux basses fréquences sont posés au sol, à l’heure actuelle c’est le cas dans plus de 90 % des lieux. Dans cette configuration 118 dBC en tout point accessible au public c’est 98 dBC ramené à la console à 2O mètres soit 85 en dBA …Un quatuor à cordes sans amplification dépasserait déjà cette valeur…Soit des subs « cardoïdes » sont accrochés en très grande quantités en hauteur permettant d’obtenir un niveau de basse plus homogène sur l’ensemble du public. Et dans ce cas pour conserver une balance tonale suffisante, les « Crashs barrières » doivent être très éloignées. Cette configuration, extrêmement couteuse n’est rendu possible que dans les très gros lieux et pour autant que les artistes acceptent de jouer devant un public qui se retrouverait à plus de 10 mètres de la scène…
Une autre question actuellement sans réponse, les afficheurs de niveaux sonores imposé à proximité du système de sonorisation qui doivent mesurer simultanément deux valeurs de nature différentes en intégrant des fonctions de transfert des points les plus exposés. Cela nécessiterait deux microphones mesurant simultanément en deux points différents. Dans les concerts « live » en plein air par exemple, l’identification de ces points le plus exposés en dBA et surtout en dBC (en raison des interférences constructives ou destructives des basses fréquences ) s’avère non seulement complexe mais évolutive en fonction des esthétiques musicales, et l’impact du son de plateau sur le son de façade.
L’introduction de cette valeur limite en dBC va donc impacter tous les lieux de musiques vivantes, et plus particulièrement encore ceux qui programment certaines esthétiques musicales de type électro, Dub ou reggae.
A cela s’ajoutent, les difficultés métrologiques ; limites de tolérance des différents matériels de mesure utilisés par les sonorisateurs et les agents de contrôle, les écarts de résultats en fonction des conditions météorologiques pour le plein air) qui justifieraient d’intégrer dans l’arrêté d’application annoncé une incertitude de mesure de 3 dBA, comme cela existe dans d’autres règlementations…
En musique vivante au regard du respect des valeurs limites d’exposition du public ou d’émergences chez les riverains, la chaîne des responsabilités est complexe…lorsque l’on voit le nombre des prescriptions nouvelles qui peuvent faire l’objet de sanctions pénales, il y a une vraie nécessité pour tous les types de lieux à décliner contractuellement les responsabilités avec l’ensemble des acteurs.
Je regrette aussi que ce texte ne prévoit aucune disposition pour faciliter l’acquisition du matériel imposé ou la formation des professionnels. Des dispositions de ce type existent par exemple dans le récent arrêté du 26 Janvier 2017 du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale fixant les conditions de diffusion du son amplifié dans les établissements ouverts au public.
Quelle est la feuille de route d’AGI-SON ces prochains mois alors que la mise en application du décret est prévue au plus tard le 1er octobre 2018 ?
Ce décret ne peut imposer des prescriptions aux exploitants sans que les moyens techniques pour y satisfaire existent… Le comité scientifique communiquera toutes les informations pertinentes et fera toutes les propositions qui seront de nature à le rendre applicable.
AGI-SON débute également un tour de France dès le mois d’octobre pour aller à la rencontre des professionnels en région. Nous avons ouvert des groupes de travail pour échanger et penser à des solutions concrètes sur toutes ces problématiques. Tous les professionnels sont invités à nous rejoindre autour de 4 grandes thématiques :
> Régisseurs / Ingénieurs son d’accueil en salle & Régisseurs / Ingénieurs accompagnant les artistes
> Régisseurs de studios de répétition et musiciens, transmission de bonnes pratiques et gestion du son sur scène
> « Petits Lieux », les salles de moins de 300 places
> Les festivals de plein air
En tant que professionnel de la prévention que tu as été, que penses-tu des nouvelles prescriptions de ce décret dans ce domaine ?
L’information du public sur les risques auditifs (à laquelle j’ajouterais celle des professionnels) est un bon moyen de prise de conscience pour faire évoluer les comportements. Je m’étonne que le législateur n’ait pas retenu l’obligation d’informer le public des écoles de musiques sur les risques auditifs, alors même que ces écoles sont des lieux voués à la formation des futurs musiciens qui auront un rôle déterminant à jouer dans la bonne gestion sonore…
De même la mise à disposition de protection auditive se justifie car chacun n’a pas le même degré de sensibilité au regard des niveaux sonores, pour autant que cette mise à disposition s’accompagne d’une information sur la manière correcte de les utiliser. Et que les fabricants diversifient leur offre notamment pour proposer des protections mieux adaptées à certains types de conduits auditifs (féminins ou d’adolescents) qui sont plus petits…ou à une protection dans les basses fréquences dont on souligne la nocivité puisque l’on fixe une valeur limite d’exposition mais dont on ne propose pas de se prémunir puisque les protections auditives « adaptées » imposées sont inefficaces en dessous de 63 Hz, là ou nous avons mesuré des niveaux importants à 31 Hz…
Paris le 25 septembre 2017.